Commerces de proximité : comment en est-on arrivé là ?
Avec 1 euro (seulement !) sur 10 dépensé en ligne[1], une vacance commerciale qui représente 1 rideau sur 10 (jusqu’à 20% dans certaines villes comme Béziers)[2], de grandes enseignes qui ferment des points de vente, le commerce a profondément muté ces dernières années. Les premières victimes ont été les commerces de proximité, touchés notamment par la concurrence de la grande distribution dans les années 80 et du e-commerce dès les années 2000.
Mais d’autres facteurs sont également entrés en jeu. Retour sur un ‘’Je t’aime, moi non plus’’ entre les français et les commerces de proximité.
Invasion des zones commerciales et installation des commerces en périphérie
Depuis 40 ans, l’expansion des zones commerciales et des grandes surfaces a participé au déclin de l'activité des centres urbains, transformant la périphérie des villes en un véritable sanctuaire commercial parfait pour les consommateurs. Malgré des législations successives, parfois contradictoires, les pouvoirs publics ont tardé à réagir et le constat est là : nos communes sont envahies de centres commerciaux, supermarchés, hypermarchés… pourvus de galeries marchandes et de grands parkings gratuits. Et quand des communes n’en ont pas, leurs habitants n’hésitent pas à faire plusieurs kilomètres pour s’y rendre. Ces espaces commerciaux ‘’tout-en-un’’, pratiques pour les français, ont ainsi contribué à la baisse d'attractivité économique et sociale des centres-villes, et donc des commerces en centres-villes.
Une concurrence accrue des acteurs du e-commerce
La distorsion de concurrence observée entre les grands acteurs du e-commerce, qui profitent d’une fiscalité beaucoup plus avantageuse, et les commerces locaux y est également pour beaucoup. Ces derniers peuvent difficilement aligner leurs prix et sont victimes de politiques commerciale, tarifaire & logistique agressives, voire déloyales. La pratique de dumping fiscal favorise les e-commerçants qui y ont trouvé un moyen d’éviter le paiement de taxes locales.
…mais aussi des enseignes
On a pu observer également ces dernières années une forme de concurrence entre enseignes/franchisés et magasins indépendants : les premiers bénéficient du support, de l’accompagnement et de moyens opérationnels, marketing et publicitaires, mais aussi pour certains de plus de souplesse dans leurs horaires et jours d’ouverture. Ils bénéficient également d’une forte notoriété et ont souvent bénéficié de bons emplacements leur permettant de cannibaliser les flux, au détriment des petits commerces. Cependant, ils ne sont pas à l’abri de fermetures de leurs points de vente comme l’actualité de ces derniers mois nous l’a démontré (La Grande Récré, Jules…).
Désaffection du centre-ville
Les centres-villes, jusque dans les années 70, étaient souvent habités par les CSP+ (cadres, notables, professions libérales, commerçants...) qui se sont peu à peu déplacés vers la périphérie. Ils ont été rejoints par de nombreux services publics de proximité (bureaux de Poste, écoles…), quand ces derniers n’étaient pas tout simplement fermés.
Et que penser de l’explosion des prix de l’immobilier, du problème des valeurs locatives impactant les loyers commerciaux, les montants de droits au bail et pas de porte ? Ces derniers ont d'ailleurs de moins en moins de raison d'être. Et des problèmes d’accès de certains centres-villes (stationnement, transports collectifs) ? Ces facteurs ont tous eu un impact sur l’attrait des centres-villes, et donc des conséquences sur l’activité de leurs commerces.
Pas-de-porte, bail à céder : où sont les nouveaux commerçants ?
Le taux de commerces vides est allé en s’aggravant : avec un taux de 6,1 % en 2001, il atteint 10,4 % en 2015[3] dans les centres des villes moyennes. Si se lancer dans l’entrepreneuriat demande du courage, il est vrai que l’explosion des prix des loyers a pu déjà en refroidir plus d’un.
Et beaucoup sont ceux qui ont stoppé leur activité, faute de pouvoir supporter des charges locatives trop élevées. Seuls de très bons emplacements avec droit au bail trouvent encore grâce aux yeux des banquiers.
Commerce à vendre : où sont les repreneurs ?
Reprendre une activité existante n’est pas toujours ce qui fait rêver. Pourtant les chiffres sont là : près de 88% des entrepreneurs ayant repris un fonds de commerce en 2011 étaient encore en activité en 2015[4]. Cependant, de nombreux commerçants ont très certainement dû pâtir des conséquences évoquées plus haut en termes d’aménagement du territoire. Pourtant ces critères sont parfois déterminants pour les potentiels repreneurs.
Mais encore faut-il que le vendeur trouve des acheteurs ! Car il faut rappeler qu’entamer des recherches de fonds de commerce, ces dernières années, relevait parfois du véritable parcours du combattant : il fallait se déplacer, s’abonner à des journaux d’annonces locales ou se rendre en chambre de commerce… et donc disposer de pas mal d’énergie, de temps et d’argent.
Le manque d’attractivité grandissant des villes moyennes et des bourgs n’a ainsi pas favorisé la reprise, mais aussi la création d’entreprises.
Quand l’absence numérique d’un commerce devient physique
Les nouvelles habitudes d’achat des consommateurs ont profondément changé. D’un parcours très linéaire (‘’je me rends au restaurant pour y consulter le menu avant de prendre ma décision’’), les points de contact avec un magasin, un commerce sont aujourd’hui autant physiques que digitaux (‘’je consulte les restaurants disponibles autour de moi, les avis, leur menu… en ligne et je me rends au restaurant sélectionné’’). Malheureusement, certains commerçants n’ont pas su prendre le virage du numérique. Parfois réticents au changement, souvent peu à l’aise avec les nouvelles technologies et nouveaux dispositifs digitaux, prétextant un coût supplémentaire ou un manque de temps… les commerçants ont vu leur clientèle s’éloigner peu à peu au profit des commerces et enseignes présents sur le Web.
Or l’influence des médias et des outils numériques sur l’acte d’achat est depuis des années désormais incontestable et joue un rôle prépondérant sur le comportement des consommateurs, sur la façon dont ils collectent des informations en ligne, pour acheter en ligne ou en magasin. Le parcours client est donc beaucoup plus complexe qu’il y a quelques années.
On constate encore aujourd’hui des commerces non référencés sur Google, qui offre pourtant une solution simple et gratuite (Google My Business) pour présenter son établissement, ses coordonnées, ses horaires d’ouverture et quelques actualités. Quand on sait qu’environ 8 internautes sur 10 font une recherche sur internet pour se renseigner avant un acte d’achat, il va sans dire que certains commerçants ont très certainement payé leur absence ‘’numérique’’.
Retrouvez tous les articles de notre dossier spécial ''Nos commerces de proximité, notre richesse'' :
- Commerces de proximité : comment en est-on arrivé là ?
- Les commerces de proximité, au cœur du centre-ville de demain
- Commerçants, comment agir à votre niveau ?
[1] Étude réalisée par RetailMeNot sur les tendances du e-commerce et du m-commerce en Europe et en Amérique du Nord (25 janvier 2017).
[2] Rapport ‘’La revitalisation commerciale des centres-villes’’ (juillet 2016)
[3] Rapport ‘’La revitalisation commerciale des centres-villes’’ (juillet 2016)
[4] Selon le 6e baromètre du bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (Bodacc).